Le Buon Vivere, Bien Vivre, dans le sens qui anime le projet homonyme de participation et de valorisation sociale à Forlì depuis plus de dix ans, est l’ensemble de bonnes pratiques et de principes qui, plaçant au centre la personne dans son rapport avec les autres – relation – inspirent une société fondée sur les valeurs de bien commun, d’équité et d’égalité, d’économie éthique, d’innovation responsable, de santé et de durabilité.
Au centre du Bien Vivre se situe donc l’idée que les relations constituent le bien premier et incontournable pour chaque individu, et que la soi-disant « économie des relations » représente la voie principale de tout projet qui ait pour objectif le bien-être physique et spirituel des individus et des communautés auxquelles ils appartiennent.
En ce sens, le Bien Vivre se propose comme un modèle de développement en phase d’une part avec les Objectifs de Développement Durable de l’Agenda 2030 des Nations Unies pour le Développement Durable, et d’autre part avec la volonté de plus en plus répandue d’adapter à la réalité de la société contemporaine les paramètres traditionnels utilisés pour mesurer le niveau de bien-être économique et social individuel et collectif.
Dans de nombreux domaines d’études, des sciences sociales à l’économie, nous disposons de données qui mettent en évidence la nécessité de reconsidérer la relation entre la possession de biens matériels et le bien-être perçu subjectivement, alors que dans de nombreux cas ce sont les sociétés les plus riches celles dans lesquelles les indicateurs objectifs du malaise social sont les plus alarmants.
Au niveau macroéconomique, des initiatives telles que la « Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi » (du nom des éminents économistes impliqués par le président Sarkozy) en France ou la mise en place du BES (Bien-Être Équitable et Durable) par l’ISTAT en Italie, ont démontré la nécessité de dépasser le PIB comme mesure quantitative unique et surtout fiable du progrès et du bien-être, en essayant d’identifier des indicateurs synthétiques capables d’intégrer certaines dimensions fondamentales liées aux enjeux de la durabilité et de la qualité de vie.
De même, déjà à partir des années 70, de nombreux témoignages expérimentaux ont mis en évidence l’absence de corrélation directe dans la relation entre le niveau de revenu et le degré de satisfaction des individus (au moins au-delà d’un seuil de revenu, au-delà duquel le rapport semble même inverser la tendance) et tant dans les sciences sociales que dans le domaine économique, il a été conclu que la qualité des relations affecte le bonheur des individus d’une manière beaucoup plus importante que la disponibilité des biens matériels et, dans certains cas, même le niveau de santé.
À titre d’exemple, citons ici les données du World Values Survey, d’où ressort clairement l’impact des relations sur le niveau de satisfaction perçue, ou encore la Grant Study de la Harvard Medical School, une longue étude longitudinale initiée en 1938 et encore aujourd’hui en cours, qui met en évidence les mêmes conclusions et démontre également l’impact de la qualité des relations sur la santé physique et l’espérance de vie des sujets concernés.
De ces premières réflexions émerge clairement la dimension transversale et interdisciplinaire du Bien Vivre. Dès lors, le premier objectif de ce volume est de définir de manière articulée, bien que nécessairement synthétique, les particularités que chaque discipline met en évidence lorsqu’elle est confrontée à ce qui pourrait ou devrait être fait pour favoriser la mise en œuvre concrète des valeurs fondatrices d’une bonne vie au niveau individuel et collectif.
En ce sens, l’intention de rassembler une série d’essais spécialisés n’est pas tant de créer une séquence de points de vue, mais de véhiculer l’idée de la dimension holistique du Bien Vivre, qui n’est pas composé de plusieurs morceaux mais se propose comme une synthèse capable d’impliquer tous les aspects de la vie et donc tous les domaines d’étude et de recherche possibles.
Du point de vue du Bien Vivre, l’ensemble des différentes disciplines est plus que leur somme, tout comme une communauté fondée sur les relations et sur des valeurs partagées est quelque chose de plus que l’ensemble des individus qui la composent.
La quantité et la qualité des essais recueillis et l’autorité des auteurs impliqués nous permettent de dire que nous disposons d’un outil inédit de connaissance et de diffusion du Bien Vivre.
Le vrai défi sera désormais de donner à cette publication la diffusion qu’elle mérite et de favoriser son adoption dans le plus grand nombre de filières d’études, afin qu’elle devienne une contribution importante à la sensibilisation des nombreux jeunes qui s’apprêtent aujourd’hui à planifier et à gouverner la société de demain selon les principes d’un Bien Vivre concrètement pratiqué.
Compte tenu de la complexité du sujet et pour tenter de dissiper d’éventuels malentendus, avant de décrire succinctement le contenu des essais réunis ici, nous voudrions clarifier quelques points qui, au cours de la préparation du volume, ont été sujet de comparaison et de discussion avec les différents sujets concernés.
Le premier concerne la relation entre le Bien Vivre et les objectifs contenus dans la précitée Agenda 2030 des Nations Unies ; le second renvoie au concept d’économie de la relation comme point qualificatif de l’ensemble du projet ; le troisième, d’ordre sémantique, tient compte des difficultés souvent rencontrées dans l’utilisation des termes les plus appropriés pour définir le Bien Vivre tant dans la langue de la plupart des auteurs, l’italien, que dans leur traduction en anglais, la langue que nous avons choisie pour cette première édition en cohérence avec l’envergure internationale du projet.
En septembre 2015, les gouvernements des 193 pays membres des Nations Unies ont signé l’Agenda 2030 pour le développement durable, un plan d’action majeur qui comprend 17 objectifs pour le développement durable (ODD) que les différents pays se sont engagés à atteindre d’ici 2030.
Les ODD représentent des objectifs communs sur un ensemble d’enjeux fondamentaux pour le développement, de la lutte contre la pauvreté à l’élimination de la faim, de la lutte contre le changement climatique au droit à la santé et à l’éducation, jusqu’à la réduction des inégalités et à la promotion de la consommation et de la production responsable.
Les 17 ODD envisagent à leur tour un total de 169 cibles ou objectifs et ont été conçus selon la logique des 5 P, c’est-à-dire Peuple, Planète, Prospérité, Paix et Partenariat. (voir le tableau des ODD des Nations Unies)
Il s’agit donc d’un projet global d’une importance extraordinaire destiné à jouer un rôle décisif pour l’avenir du monde et, également dans la perspective du Bien Vivre, la réalisation des ODD est pleinement souhaitable et acceptable.
À notre avis, cependant, une composante fondamentale fait défaut dans tous les ODD qui, bien qu’implicite au moins dans certains d’entre eux, mérite d’être davantage soulignée, et est celle de promouvoir une valorisation plus profonde et partagée de la relation en tant qu’élément essentiel de tout projet de développement pour l’avenir de l’humanité.
Comme nous essaierons de l’argumenter dans le paragraphe suivant, nous sommes profondément convaincus que tout projet de développement durable qui veut éviter de se fonder sur des attitudes paternalistes ou sur la bonne volonté présumée des gouvernements ne peut ignorer la centralité de la Personne et une manière différente d’envisager la relations entre individus.
En ce sens, il est nécessaire de valoriser les occasions de rencontre, de participation, d’échange et de relation entre les individus selon des critères de réciprocité, de confiance, de respect et de responsabilité, en favorisant à chaque occasion possible le passage de la logique du bien-être individuel à celle d’une conscience plus grande et plus profonde de la valeur du partage.
Dans cette perspective, la relation entre l’ODD et l’économie de la relation est plus correctement une relation d’entraide : sans l’hypothèse d’une considération de « l’autre » comme élément indispensable à notre Bien Vivre, une authentique volonté de soin des biens communs et de solution des problèmes qui affligent « les autres », qu’il s’agisse de nutrition, de liberté ou de discrimination, ne peut pas être envisagée. D’autre part, si les droits fondamentaux font défaut ou si la satisfaction des besoins mis en évidence dans les ODD est insuffisante, la création de relations est vouée à être inachevée et irréalisable. En d’autres termes, les conditions pour la réalisation de ce qu’Amartya Sen appelle les « capabilities » font défaut, c’est-à-dire les conditions pour satisfaire les aspirations légitimes que chaque individu est en droit de poursuivre pour le plein épanouissement de sa personnalité.
À ce stade, nous pensons qu’il est utile de clarifier le concept d’économie des relations mentionné à plusieurs reprises.
La valeur fondatrice des relations pour le plein épanouissement de tout être humain est affirmée depuis l’Antiquité comme un élément inhérent à la dimension sociale de l’individu.
Dans la perspective du Bien Vivre, cette centralité de la relation ne concerne pas seulement la sphère privée des affections et des relations personnelles, mais prend un sens beaucoup plus large qui inclut également les choix politiques et économiques de la société dans son ensemble.
Bien que né comme un projet communautaire en dehors de la sphère académique, le Bien Vivre a rapidement trouvé un interlocuteur faisant autorité et précieux dans le Campus de Forlì de l’Université Alma Mater de Bologne et a accueilli au fil des ans de nombreux universitaires de renommée internationale qui ont contribué de manière importante à apporter leur soutien aux intuitions et aux convictions de l’initiative.
Les contributions à ce projet des lauréats du prix Nobel d’économie Amartya Sen, Joseph Stiglitz, Eric Maskin, de la lauréate du prix Nobel de la paix Shirin Ebadi, d’éminentes personnalités telles que Jean-Paul Fitoussi, Raj Patel, Enrico Giovannini, Lucrezia Reichlin et d’autres qui, comme eux, ont contribué de diverses manières à élargir les horizons d’une science économique fondée sur l’idée d’un homo œconomicus producteur et consommateur principalement intéressé par la maximisation du profit et des avantages individuels selon des choix égoïstes rationnels, ont été très importants pour la définition du concept d’« économie des relations ».
Il s’agit d’une idée qui trouve ses fondements dans des études, comme celles de Hadley Cantril et Richard Easterlin, qui déjà dans les années 70 avaient mis en évidence les limites d’une théorie économique basée sur la corrélation entre le niveau de revenu et le bien-être perçu subjectivement par les individus.
À partir de ces premières déclarations, au cours des décennies suivantes, le nombre d’études et de recherches menées dans le but d’élucider les motivations réelles qui sous-tendent le bien-être des individus s’est multiplié de façon exponentielle, impliquant d’éminents représentants de diverses disciplines avec des travaux souvent caractérisés par la collaboration importante entre l’économie, la psychologie, la philosophie et les sciences politiques.
Il suffit de penser à des personnalités comme Elinor Ostrom, dont les intuitions au sujet d’une gestion des biens communs capable de dépasser l’alternative classique entre dimension privée et publique, lui ont valu le premier prix Nobel d’économie décerné à une femme en 2009 ; Robert Putnam à qui on doit la formulation de la catégorie du capital social comme élément d’importance égale au capital économique-financier et humain dans la détermination du développement au niveau individuel et collectif ; à Daniel Kahneman et Vernon Smith, également lauréats du prix Nobel d’économie, qui ont utilisé leurs études de psychologie comportementale dans une clé économique, venant formuler, à travers l’économie comportementale et expérimentale, le rôle fondamental des relations dans l’atteinte du bien-être.
A celles-ci, sans prétendre à l’exhaustivité, il faut certainement ajouter les études sur la fragilité des biens relationnels de la philosophe Martha Nussbaum, les réflexions sur la confiance de Francis Fukuyama, les analyses sur consommation, pauvreté et welfare du prix Nobel Angus Deaton, les études de Stephan Meier et Alois Stutzer d’où ressort une forte corrélation entre la performance du travail bénévole et le bien-être subjectif.
Enfin, nous voulons rappeler la contribution d’économistes italiens tels que Luigino Bruni, Giacomo Becattini, Benedetto Gui, Luca Stanca et Stefano Zamagni, tant pour la formulation des bases théoriques de la catégorie des soi-disant « biens relationnels » (avec Carol Uhlaner), réévaluant la fonction essentielle également dans la sphère économique d’éléments tels que la gratuité, la réciprocité, la participation et la solidarité, que pour nous rappeler que, selon les économistes italiens du XVIIIe siècle tels qu’Antonio Genovesi et Pietro Verri, l’économie est, ou devrait être, la science du bonheur public, une dimension inclusive et universelle que l’économie moderne semble avoir longtemps négligée.
Dans cette perspective, l’économie des relations est donc un système social où les comportements, les choix, les décisions et les bénéfices des agents économiques sont fortement dépendants de la quantité et de la qualité de leurs relations. Une telle représentation est proposée comme une tentative de synthèse des théories économiques, des sciences humaines et de la passion civile pour une société capable d’identifier l’autre non seulement comme un concurrent, un rival ou un simple objet d’indifférence.
Pour le Bien Vivre, l’autre est toujours une source de responsabilité et d’intérêt, le compagnon de route avec qui relever le défi d’un avenir fait de soin et d’entraide. Ce n’est qu’ainsi que les différences de genres, de générations et de cultures se déclinent dans une diversité positive qui exige, toujours et en tout cas, un profond respect et une solidarité sincère.
Dans la relation, les différences ne se diluent pas, mais s’émancipent dans le bien commun. On retrouve cette réflexion dans l’esprit qui a animé la création de ce texte, qui renvoie à
la nécessité de dépasser la séparation hermétique des savoirs et des disciplines universitaires pour nous ouvrir à une approche didactique différente dans le traitement des enjeux du vivant. Dans une récente interview, le philosophe Edgar Morin souligne combien il est urgent aujourd’hui d’aborder d’énormes problèmes, tel que le sens de l’humanité et de l’être humain, non pas en les brisant en morceaux, mais en les rassemblant autour des valeurs clés qui guident leur progression. D’où la nécessité d’enseigner la compréhension de l’autre, les relations à la base de la famille, du travail, de la vie quotidienne, pour mieux faire face à l’incertitude.
Et c’est précisément de la volonté de rendre vivante et concrète l’idée du Bien Vivre que naît le besoin de comprendre comment concevoir les villes, les lieux de travail, les politiques sociales, l’innovation, la santé, la production et la consommation responsables de biens et de services sans jamais perdre de vue les conditions de l’économie de la relation et essayant de faire le point sur ce qui aujourd’hui, dans chacun de ces domaines, favorise ou empêche cette idée de Bien Vivre, en s’inspirant des bonnes pratiques existantes pour concevoir des perspectives d’avenir.
C’est ce que nous avons voulu faire avec ce volume dans lequel chaque contribution aborde un aspect de notre vie avec une pensée pour ceux qui viendront après nous, car la relation la plus difficile à imaginer, mais qui démontre au mieux notre disponibilité sincère envers les autres, c’est celle avec les générations futures, qui hériteront ce que nous serons capables de leur laisser ; c’est ce qu’on appelle la durabilité et c’est le plus grand défi pour chacun de nous.
À la base de tout, comme toujours, il y a des processus éducatifs et une formation culturelle, et c’est pour cette raison que la meilleure récompense pour notre travail serait de pouvoir contribuer au moins en partie à fournir des outils utiles aux enseignants et aux étudiants dans leurs parcours respectifs, enseignement et apprentissage.
À eux, tout d’abord, nous confions ce premier recueil d’essais dont on sait déjà qu’il devra être révisé et élargi à l’avenir, peut-être avec la contribution de ceux qui, aujourd’hui, s’en serviront pour commencer à cultiver l’idée d’un futur dans lequel, comme l’a dit le pape François dans l’encyclique « Frères tous », la vie redevienne l’art de la rencontre.
L’expression Buon Vivere, Bien Vivre, est souvent associée à une dimension hédoniste qui se concilie mal avec le sens que le terme prend dans notre projet qui l’a adopté, plutôt, en terme de progrès durable, comme nous avons essayé de le définir dans les paragraphes précédents.
Le problème vient de la pluralité des sens de « bien », qui dans les deux langues (good pour l’anglais et buon pour l’italien) peut prendre un sens éthique (le bien qui correspond au droit) ou esthétique (le adjectifs good et buono associés au goût).
L’appréciation des plaisirs de la vie, de la beauté à la nourriture, n’est pas forcément en contradiction avec les principes du Bien Vivre, mais elle ne rend certainement pas compte de la complexité et des valeurs qui sont associées au Bien Vivre comme économie de la relation.
La question est encore plus importante si l’on considère qu’aujourd’hui encore, pour la définition du bien-être, les paramètres liés à la possession et à la consommation des choses sont toujours considérés comme prédominants, sous-estimant l’importance des biens relationnels qui, comme nous l’avons vu, sont plutôt fondamentaux pour la réalisation du Bien Vivre au sens décrit dans les paragraphes précédents.
Même le terme bonheur, largement utilisé aujourd’hui en économie, ne représente pas adéquatement le Bien Vivre. Comme Amartya Sen l’a clairement indiqué, le bonheur perçu subjectivement peut être très différent du Bien Vivre ; le cas extrême, cité par Sen, d’une personne qui, influencée par des facteurs tels que la religion ou la propagande, se sent heureuse même dans une condition d’esclavage ou d’exploitation, décrit bien la nécessité de considérer le rôle central de certains droits fondamentaux dans la transition entre la perception individuelle et la situation objective dans laquelle vivent les êtres humains.
Dans une situation de parfait Bien Vivre, personne ne se sentirait heureux en l’absence du bonheur des autres ; en paraphrasant la phrase d’Aristote sur l’amitié, nous pourrions dire que « personne ne choisirait de vivre sans relations, même s’il avait tous les autres biens ».
Le problème de la pluralité des sens se pose à nouveau lorsqu’il s’agit, comme dans ce cas, de traduire l’expression Bien Vivre.
Nous avons beaucoup raisonné à ce sujet et nous avons également discuté avec des traducteurs spécialisés et des experts de diverses disciplines à qui nous avons demandé un avis.
Parmi les hypothèses avancées figurait celle d’associer à Bien Vivre (Good Living) quelque chose qui définirait mieux sa valeur, comme social good living, ou bien d’utiliser l’expression well-being, dans ce cas aussi intégrée aux termes human ou social.
Ce sont toutes des options qui se rapprochent du véritable sens du terme mais chacune, à y regarder de plus près, est insuffisante pour parvenir à une perception universelle et indiscutable du concept à exprimer.
Cette pluralité de nuances se confirme dans les essais qui composent ce volume. Dans certains cas, Bien Vivre a été traduit littéralement (Good Living), dans d’autres, il existe des expressions telles que weelbeing ou happiness ou même living well ; aucune de celles-ci n’est incorrecte mais aucune n’est entièrement satisfaisante.
C’est pourquoi nous avons décidé de ne pas intervenir sur les essais individuels, traduisant ou homogénéisant les différents choix, et nous avons préféré laisser cette pluralité sémantique comme preuve supplémentaire de la complexité, et donc de la richesse, du Bien Vivre.
En ce qui nous concerne, en tant que créateurs et éditeurs du volume, nous avons décidé d’utiliser l’expression Buon Vivere en italien dans le titre et dans les textes d’introduction, en mettant la traduction littérale en anglais entre parenthèses. En effet, tout en promouvant la dimension de plus en plus internationale du projet Bien Vivre, nous souhaitons garder une référence à ses origines et au pays où il est né : l’Italie.
Comme dernière suggestion lexicale, nous aimerions citer ici une expression utilisée dans un programme de recherche à l’Université de Harvard qui utilise le terme Human Flourishing.
C’est un programme d’études qui a des objectifs très similaires à ceux de notre Bien Vivre et représente donc une confirmation supplémentaire de la nécessité de consacrer de plus en plus d’attention à ces questions.
Ce qui nous paraît très beau dans l’idée de flourishing, c’est l’association de l’homme à une fleur car elle renvoie à une notion qui nous est centrale concernant l’importance de la culture pour la réalisation du bien vivre.
Culture dérive aussi du latin colere, cultiver, et nous permet de conclure en réaffirmant l’importance de consacrer les soins, l’attention et la passion de ceux qui cultivent un jardin à la formation de nos jeunes afin que le désir de s’épanouir en tant qu’individu puisse grandir en eux et faire fleurir dans la société de demain la capacité d’apprécier la richesse de la diversité et la beauté des nombreuses fleurs qui, avec leurs différentes couleurs, composent l’humanité.
Le volume s’ouvre sur la contribution de De Pascalis, Chattat, Andrei et Trombini sur la dimension relationnelle du Bien Vivre (living well). Les auteurs s’intéressent aux deux aspects fondamentaux qui déterminent le Bien Vivre aux différentes étapes de la vie (enfance, adolescence, âge adulte, séniorité), à savoir, d’une part, les ressources individuelles qui permettent de faire face aux épreuves de la vie et de l’autre le contexte relationnel. Le « rôle des autres » est une dimension essentielle du Bien Vivre, et s’exprime à travers la production et la consommation de « biens relationnels », qui constituent la dimension sociale du bien-être (wellbeing). Selon les auteurs, les facteurs qui contribuent aux ressources individuelles (santé, qualité de l’environnement, sécurité, etc.) sont les conditions pour le Bien Vivre et sont bien résumés dans des indices tels que le Better Life Index de l’OCDE et le Human Development Index du PNUD. Ils représentent également de nombreux objectifs de développement durable (ODD) fixés par les Nations Unies en 2015. Cependant, ce n’est qu’en intégrant ces facteurs à la dimension sociale représentée par les biens relationnels qu’il est possible, tout au long d’une vie, de parvenir au Bien Vivre (living well).
L’humanité ayant tendance à se concentrer dans les villes (selon les Nations unies, 68 % de la population mondiale vivra en milieu urbain d’ici le milieu du siècle), celles-ci représentent le théâtre principal des dynamiques pouvant contribuer au Bien Vivre.
Le chapitre d’Orioli et Massari illustre le rôle de l’urbanisme (urban planning) en termes de contribution au Bien Vivre. L’urbanisme est vu comme un processus de transition fondé sur la perspective d’agir sur la ville existante, « working on the existing city ». À partir d’exemples tirés de la réalité émilienne, les auteures distinguent les processus de transformation physique de la ville (work on « la ville ») de ceux où les citoyens participent et contribuent directement au changement du contexte urbain (work on « la cité ») et soulignent l’importance d’un bon rapport entre les initiatives « bottom-up » et la gestion urbaine par les institutions.
Comme la ville, le territoire est l’expression du bien commun et le bien-être d’un territoire repose sur des conditions de Bien Vivre. Mazzara souligne dans le chapitre suivant comment l’économie de la relation est un levier de gouvernance territoriale. L’auteur s’interroge sur les conditions et les approches nécessaires pour favoriser la production et l’échange de biens relationnels et sur leur capacité effective d’utilisation. Selon Mazzara, le développement territorial ne peut se faire qu’à travers l’implication systématique des différents acteurs locaux dans le processus de planification stratégique en une perspective à long terme. C’est la seule façon de créer ce “capital social” qui est à la base de la dynamique positive en termes de Bien Vivre sur le territoire.
La culture est sans aucun doute l’un des atouts essentiels du développement territorial, dans toutes ses manifestations artistiques, créatives et identitaires. Dans leur chapitre, Segré, Borrione et Porta soulignent le rôle de la culture comme « élément fondamental pour revitaliser ou maintenir la valeur d’un territoire et y soutenir la qualité de vie », une autre manière, selon les auteurs, de définir le Bien Vivre. Comme le soulignent également Mazzara, pour Segré et al., les industries et les biens culturels deviennent importants aussi pour leur contribution à la diffusion du capital symbolique et de l’image d’un territoire. En introduisant l’idée d’« économie de la culture », les auteurs expliquent la notion de « capital culturel », élément essentiel du développement et de l’amélioration de la qualité de vie sur un territoire donné.
Si un territoire est aussi composé d’activités productives et de réalités sociétales et industrielles, la contribution de Siboni et Riganese est essentielle pour comprendre comment les pratiques de développement durable des entreprises peuvent contribuer à l’atteinte des ODD et donc améliorer les conditions sous-jacentes pour permettre des dynamiques vertueuses vers le Bien Vivre.
Les trois chapitres qui suivent illustrent quelques aspects spécifiques essentiels du Bien Vivre : la numérisation, le traitement des maladies chroniques et la lutte contre les inégalités de genre et ethnoculturelles.
Golfarelli présente dans son chapitre les grandes tendances de la digitalisation, les risques sociaux et les opportunités offertes par cette « révolution intelligente », soulignant l’impact que les processus de digitalisation ont sur le bien-être (well-being) des individus et de la société.
De leur côté, Maturo et Gibin introduisent un thème fondamental dans les sociétés modernes et industrialisées : celui du soin des maladies chroniques et des handicaps. Ce problème devient primordial dans une société comme la société italienne, dans laquelle « la durée moyenne d’un mariage est inférieure à la cohabitation avec la maladie ». La contribution des auteurs est particulièrement pertinente et innovante là où les déterminants sociaux de la qualité de vie des malades chroniques et de leurs « caregiver » familiaux sont illustrés sociologiquement. Les auteurs s’attachent à répondre à la question de savoir s’il y a du Bien Vivre dans la maladie, et même si l’on peut parler de bonheur dans des conditions d’handicap chronique.
De Blasio et Selva abordent un problème crucial et très actuel : celui de l’intégration ethnoculturelle et des femmes dans la société. À travers quatre études de cas provenant de différentes régions d’Italie, les auteures réfléchissent sur le « gap » existant aujourd’hui en termes d’intégration féminine et ethnoculturelle et ses conséquences en termes de bien-être social et de Bien Vivre. Sur la base des observations issues des études de cas, des outils et des politiques publiques sont ensuite proposés pour favoriser l’intégration et l’inclusion.
Les deux chapitres qui concluent le volume sont complémentaires pour aborder le problème du développement, de la disponibilité alimentaire et de la gestion des ressources dans les sociétés du Nord et du Sud.
Dalla Rosa propose une analyse détaillée et rigoureuse de la relation entre la production et la consommation alimentaires, la protection de l’environnement et la durabilité de la planète dans une perspective de bien-être social.
Farolfi et Perret déplacent l’objet de l’analyse vers le rôle joué par la recherche agronomique pour le développement en termes de Bien Vivre. Dans ce dernier chapitre, les auteurs proposent un schéma logique dans lequel la recherche agronomique intervient sur les systèmes alimentaires (food systems), qui contribuent au développement et à la réalisation des ODD. Or, l’amélioration des conditions de vie des sociétés rendue possible par le renforcement des systèmes alimentaires n’est qu’une condition préalable à la production et à l’échange de biens relationnels, qui conduisent au Bien Vivre (society’s wellbeing). A travers trois exemples concrets, les auteurs illustrent comment la recherche agronomique pour le développement peut affecter directement et indirectement le Bien Vivre. Enfin, la question de l’analyse d’impact des programmes de recherche et développement est abordée.